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David Lynch × Adidas (1993) : L'histoire méconnue d'une publicité culte sur le marathon

David Lynch × Adidas (1993) : L’histoire méconnue d’une publicité culte sur le marathon

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David Lynch était beaucoup de choses : un cinéaste au talent singulier, un peintre, un designer de meubles, un musicien expérimental, un porte-parole de la méditation transcendantale et même un météorologue sur YouTube.

Mais peu de gens considéraient Lynch, qui est décédé le 15 janvier à l’âge de 78 ans, comme un champion de la course de fond. (Avant sa mort, Lynch a reconnu que sa santé s’était gravement détériorée ces dernières années en raison d’un emphysème dû au tabagisme).

Connu pour sa capacité à mêler le quotidien à l’étrange (souvent avec un effet dérangeant), David Lynch s’est taillé une place unique dans le monde de l’art et du cinéma.

David Lynch a réalisé des films qu’il était le seul à pouvoir faire. L’une de ses curiosités cinématographiques les plus singulières a refait surface cette semaine, lorsque des fans ont rendu hommage au maître de l’étrange : une vision véritablement lynchienne de l’expérience du marathon.

Le mur : La publicité Adidas de David Lynch

Lynch est bien sûr surtout connu pour ses évocations troublantes de ce qui se cache derrière les portes closes de la vie quotidienne américaine. Avec des films comme Blue Velvet (1986), Lost Highway (1997) et Mulholland Drive (2001), il a opéré à l’intérieur des frontières du courant hollywoodien dominant, tout en restant commercialement viable sans compromettre ses idées stimulantes.

Même les fans de Lynch sont souvent surpris d’apprendre que le cinéaste a également réalisé des dizaines de publicités télévisées au fil des années. Il a réalisé des spots pour des maisons de haute couture, des constructeurs automobiles, des marques de pâtes alimentaires et, sans surprise, des fabricants de cigarettes.

Il a même réalisé un message d’intérêt public pour l’American Cancer Society en 1993 afin de sensibiliser le public au dépistage du cancer du sein, ce qui semble étrangement approprié. Et, bien sûr, il y a eu la publicité pour le test de grossesse Clear Blue Easy en 1997. Les 15 secondes les plus difficiles et les plus incertaines de l’histoire de la télévision.

À l’instar de ses films, chacune de ces publicités a été réalisée par David Lynch. Elles sont visuellement stupéfiantes et obsédantes, abandonnant leur objectif ostensif de vendre au spectateur une Nissan Micra ou une Playstation 2 pour explorer la beauté et le profane de la condition humaine.

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L’un des meilleurs courts métrages de Lynch, un document parfait à la fois sur l’expérience du marathon et sur l’esthétique visuelle du milieu des années 90, parlera aux coureurs.

En 1993, Lynch a été chargé de réaliser une publicité pour l’entreprise allemande qui cherchait à commercialiser sa “technologie tubulaire“, une semelle intercalaire surdimensionnée qui comprenait une valve et une pompe manuelle pour remplir les poches d’air sous les pieds du coureur afin d’obtenir le niveau d’amortissement souhaité.

Lynch a judicieusement ignoré les détails gênants de la conception et s’est concentré sur ce que c’est réellement que de courir les derniers kilomètres d’un marathon. Il a appelé cette publicité “The Wall” (le mur).

Ce spot de 60 secondes, qui traite ostensiblement du dépassement des limites dans le domaine du sport, est typiquement lynchien. Le cinéaste a souvent utilisé des archétypes américains banals et quotidiens pour explorer nos instincts animaux (souvent contradictoires) et nos tendances perverses dans notre monde moderne ordonné et rationnel.

La course à pied était donc le tableau parfait pour que Lynch explore notre étrange désir d’autodestruction physique et psychique afin de déclencher un sentiment de liberté spirituelle par rapport à la modernité.

En 1993, la course à pied était le sport personnel et le mode de vie d’une classe moyenne post-religieuse, cherchant le salut dans les rigueurs de l’exercice extrême. Un sujet parfait pour le cinéaste.

Les images de “The Wall” sont merveilleusement datées : un collage animé numériquement de mouvements intenses et d’images abstraites du protagoniste, un coureur d’âge moyen, qui entre dans une zone de folie physique et philosophique. Le coureur sprinte sur une autoroute surélevée et vide, se dirigeant directement vers un mur de béton.

Le mur : La publicité Adidas de David Lynch

Il n’y a personne d’autre, aucun signe de vie nulle part. Le monde s’est-il écroulé ? Et si c’est le cas, pourquoi la route et les bâtiments commerciaux environnants sont-ils en parfait état ? Le coureur fuit-il un danger quelconque ? Pourquoi court-il ?

Le protagoniste fait également quelque chose d’étrange : il court au milieu de la route. Cette image, celle d’un coureur solitaire sprintant le long de la ligne jaune centrale, relève du fantasme.

Elle n’existe que dans les rêves et dans les images d’archives, mais jamais dans la vie réelle. Il s’agit d’une représentation absurde d’un acte quotidien, ce qui est une stratégie lynchienne courante : la scène est immédiatement familière, mais quelque chose n’est pas tout à fait normal, ce qui fait que le spectateur s’y identifie tout en étant déstabilisé.

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La caméra virevolte sur le tarmac poussiéreux, utilisant la même perspective que Lynch emploiera quelques années plus tard dans le plan d’ouverture de Lost Highway. Comme dans le film de 1997, ce n’est pas tout à fait le point de vue du protagoniste.

Le spectateur et le coureur sont conduits quelque part, presque comme par une force, et ce qui se trouve au-delà du mur n’est pas clair. Mais il est évident que le coureur est sur une trajectoire de collision avec le mur, et qu’il ne peut pas résister à son désir d’aller au-delà.

Au fur et à mesure que l’annonce progresse, le coureur se heurte à un mur, entrant dans un purgatoire de souffrance et d’incertitude étouffante. Les ombres vacillent de façon anormale et l’environnement semble se déplacer et respirer, comme s’il était vivant.

N’oublions pas que Lynch est l’un des initiateurs de l’horreur corporelle, et en quelques secondes, cette publicité pivote dramatiquement vers les viscères du sous-genre.

C’est comme si le coureur était entré à la fois dans son propre corps physique, inondé d’une mer rouge de sang privé d’oxygène et de lactate gluant, et dans une représentation visuelle de sa psyché, alors qu’il lutte contre le désir profond d’abandonner sa quête et de quitter ce paysage d’enfer.

La bande sonore, très entraînante, utilise un rythme serré de charleston tiré d’un film noir des années 1950, combiné à un synthétiseur élégant et entraînant qui se contorsionne dans une tonalité mineure. Alors que la bande sonore propulse le coureur dans cette horreur, il lui suffit de s’arrêter pour revenir en lieu sûr. Mais pour une raison inconnue, il continue à avancer, se dirigeant directement vers le mur.

Lorsque le coureur se heurte enfin au mur et le traverse, il semble d’abord courir à travers sa propre bouche, sortant de son corps. La lumière inonde l’écran et la partition musicale scintille dans un triomphe en tonalité majeure. Le coureur est porté en l’air, semblant courir vers les cieux. C’est un moment si absurde qu’il est clair que Lynch l’a voulu ridicule.

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Le marathon, semble nous dire Lynch, contient une agonie croissante, un moment d’extase fugace, puis un désir troublant de souffrir à nouveau. L’annonce nous laisse avec un sentiment persistant d’effroi et de malaise.

Nous ne sommes pas obligés de nous précipiter pour acheter des chaussures de running Adidas, mais plutôt de nous demander : “Pourquoi est-ce que je m’inflige cela ? Et pourquoi est-ce que j’aime ça ?” Et c’est là tout le génie de David Lynch.

Merci à l’excellente newsletter The Lap Count de Citius de nous avoir rappelé ce joyau. Si vous ne l’avez pas encore fait et que vous aimez vous intéresser à l’athlétisme et au peloton élite, vous devriez vous abonner.

Courez en paix, David Lynch. Et franchis ce mur !

Nicolas Dayez, Fondateur de Athlé expliqué

Qui est Nicolas ?

Je suis un passionné de course à pied avec plus de 15 ans d'expérience. Ayant débuté comme coureur amateur, j'ai progressivement affiné mes compétences en m'informant sur les meilleures pratiques d'entraînement, que je partage désormais avec mes lecteurs.

Mon objectif est de rendre la course accessible à tous, en proposant des conseils pratiques, des analyses techniques, et des méthodes adaptées à tous les niveaux.

Actuellement en cours de formation pour le CQP Animateur d’athlétisme option « athlé forme santé », préparateur mental et nutritionniste sportif diplômé, j'approfondis mes compétences en entraînement et pédagogie afin de partager des méthodes et des approches efficaces et adaptées aux besoins des coureurs de tous niveaux.

Quelques faits d’armes :
- 100 km de Steenwerck : 7h44
- 80 km Ecotrail Paris (1300m D+) : 7h12
- 42 km Nord Trail Mont de Flandres (1070m D+) : 3h11
- Marathon de Nice-Cannes : 2h40
- Championnats de France de Semi-Marathon : 1h13
- 10 km de Lambersart : 34'16

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