
Pendant des décennies, la course d’endurance a été présentée comme un remède universel pour le corps et l’esprit. Plus on court, mieux on se porte, affirme-t-on. Pourtant, une étude révolutionnaire menée par le Trinity College de Dublin vient bousculer cette certitude en démontrant que chez les marathoniens à haute fréquence, ceux qui enchaînent des centaines de 42,195 kilomètres, la santé mentale ne suit pas toujours le rythme des performances physiques.
Que se passe-t-il lorsque la course devient un mode de vie, une identité, voire une compulsion ? Quand le mouvement n’est plus une échappatoire mais un poids ?
Une étude sans précédent sur 576 marathoniens extrêmes
Publiée dans la revue scientifique Acta Psychologica, cette recherche s’appuie sur une cohorte internationale de 576 multi-marathoniens provenant de 22 pays. Ces athlètes ont accompli en moyenne 146 marathons chacun, avec un âge moyen de 53 ans (56% d’hommes, 44% de femmes).
Les chercheurs ont évalué leurs niveaux de dépression et d’anxiété à l’aide de questionnaires validés : le CESD-8 (Center for Epidemiologic Studies Depression Scale) et le STAI-S-6 (State-Trait Anxiety Inventory). Les résultats ont ensuite été comparés aux données de TILDA (The Irish Longitudinal Study on Ageing), une vaste étude populationnelle irlandaise portant sur plus de 8 500 personnes.
L’approche méthodologique se distingue par sa rigueur : au-delà des moyennes globales, les chercheurs ont utilisé une analyse de classes latentes pour identifier des profils psychologiques distincts au sein de la population étudiée.
Des scores de dépression et d’anxiété supérieurs à la population générale
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les coureurs d’ultra-distance jouissent d’une santé mentale exceptionnelle, l’étude révèle que dans presque tous les groupes démographiques, les multi-marathoniens présentent des scores moyens de dépression et d’anxiété plus élevés que la population générale.
Bien que ces moyennes restent généralement sous les seuils cliniques nécessaires pour diagnostiquer un trouble mental, elles sont néanmoins significativement supérieures à celles des groupes témoins appariés par âge et sexe.
Leo Lundy, doctorant et auteur principal de l’étude (lui-même vétéran de plus de 400 marathons), explique : « Courir régulièrement sur de longues distances peut renforcer la résilience chez certains, mais augmenter la vulnérabilité chez d’autres. »
Un sous-groupe à haut risque : 8% en dépression sévère et anxiété élevée
Le constat le plus alarmant concerne un sous-groupe spécifique : 8% des coureurs interrogés appartiennent à une catégorie qualifiée de « Dépression sévère et anxiété élevée », dépassant les seuils cliniques sur les deux échelles de mesure validées.
Pour une population qui se perçoit, et est souvent perçue, comme physiquement et psychologiquement exceptionnelle, ce groupe à haut risque mérite une attention particulière.
Plus troublant encore : ce sous-groupe avait couru en moyenne plus de marathons que n’importe quel autre dans l’étude. Bien que la recherche n’ait pas été conçue pour établir une causalité directe, la corrélation entre volume extrême de marathons et symptômes psychologiques élevés soulève des questions difficiles :
Est-ce que l’accumulation de courses masque, voire aggrave, des problèmes de santé mentale sous-jacents ?
La course est-elle utilisée davantage comme mécanisme d’évitement que comme source de plaisir ?
L’étude ne prétend pas trancher définitivement, mais elle suggère fortement que l’entraînement marathon à haute fréquence ne constitue aucune garantie contre les troubles mentaux.
Quatre profils psychologiques identifiés
Grâce à l’analyse de classes latentes, les chercheurs ont distingué quatre profils psychologiques parmi les coureurs :
Dépression minimale et anxiété faible : 33% des participants
Symptômes subcliniques : 41%
Dépression et anxiété modérées : 18%
Dépression sévère et anxiété élevée : 8%
Ces profils révèlent qu’alors qu’un tiers des coureurs semblent s’épanouir émotionnellement, près des deux tiers éprouvent un certain niveau de détresse psychologique. Cette variabilité serait invisible dans une analyse superficielle basée uniquement sur les moyennes de groupe.
Différences selon l’âge et le sexe
Les hommes âgés présentent des niveaux d’anxiété significativement plus faibles, en accord avec la recherche montrant que la réactivité émotionnelle tend à diminuer avec l’âge. Cependant, des différences de genre émergent ailleurs.
Les femmes marathoniennes rapportent des scores de dépression significativement plus élevés que les hommes, une tendance également observée dans la population générale.
Cette différence met en lumière une vérité inconfortable : le sport d’endurance tend à célébrer le stoïcisme et l’abnégation. Pour beaucoup, reconnaître une lutte mentale semble briser une règle tacite de la communauté running.
« Le corps et l’esprit sont sous tension constante, et pour certains coureurs, l’habitude devient davantage un mécanisme d’adaptation qu’une joie », explique Lundy. « C’est là que l’épuisement et l’anxiété peuvent s’installer. »
Quand la course devient le stresseur, pas la solution
Bien que la course soit souvent perçue comme une thérapie, cette étude impose un recadrage. Les données confirment ce que de nombreux coureurs murmurent mais disent rarement à voix haute : la course peut parfois être la cause de la tension psychologique, et non la cure.
L’étude n’a pas évalué directement l’addiction à l’exercice, mais note que le groupe présentant les symptômes les plus élevés avait le nombre moyen de marathons le plus important. Cette constatation, combinée aux schémas d’anxiété et d’épuisement, suggère que dans certains cas, l’acte de courir fréquemment peut basculer d’une routine structurée vers une compulsion.
Le piège identitaire : quand le coureur devient la seule identité
Que se passe-t-il lorsque l’acte de courir, et l’identité de « coureur », devient tout-consommant ?
Pour ceux qui enchaînent des dizaines de marathons par an, les calendriers de courses peuvent remplacer les relations sociales. L’estime de soi peut devenir ancrée aux lignes d’arrivée et aux carnets d’entraînement. Lorsque blessure, âge ou épuisement interrompent ce récit, un vide psychologique peut émerger.
Et pourtant, ce scénario est rarement discuté dans les communautés running qui valorisent la constance et l’engagement avant tout.
Repenser ce que signifie « être en bonne santé » dans le sport d’endurance
Les auteurs de l’étude plaident pour un changement culturel au sein du monde de la course :
Les dépistages de santé mentale comme le CESD-8 et le STAI-S-6 devraient être utilisés de manière proactive
Les clubs devraient normaliser les conversations sur le bien-être émotionnel, pas seulement sur les allures et les plans d’entraînement
La récupération, la joie et l’équilibre psychologique devraient être valorisés autant que les métriques de performance
Il existe une opportunité de redéfinir la résilience : non pas comme la suppression de l’inconfort, mais comme la reconnaissance de celui-ci et la recherche d’aide lorsque nécessaire.
Un message nuancé, pas une condamnation de la course
Cette étude ne critique pas la course à pied. Elle illumine la complexité de ce qui se produit lorsque courir devient plus qu’un simple mouvement. Lorsque cela devient identité, pression et échappatoire émotionnelle.
Le message n’est pas « ne courez pas de marathons ». C’est :
Courez avec conscience, pas pour fuir. Utilisez la course pour grandir, pas pour vous cacher.
Car même parmi les plus en forme physiquement, les lignes d’arrivée ne garantissent pas la paix de l’esprit.
Qui est Nicolas ?
Je suis un passionné de course à pied avec plus de 15 ans d'expérience. Ayant débuté comme coureur amateur, j'ai progressivement affiné mes compétences en m'informant sur les meilleures pratiques d'entraînement, que je partage désormais avec mes lecteurs.
Mon objectif est de rendre la course accessible à tous, en proposant des conseils pratiques, des analyses techniques, et des méthodes adaptées à tous les niveaux.
Actuellement en cours de formation pour le CQP Animateur d’athlétisme option « athlé forme santé », préparateur mental et nutritionniste sportif diplômé, j'approfondis mes compétences en entraînement et pédagogie afin de partager des méthodes et des approches efficaces et adaptées aux besoins des coureurs de tous niveaux.
Quelques faits d’armes :
- 100 km de Steenwerck : 7h44
- 80 km Ecotrail Paris (1300m D+) : 7h12
- 42 km Nord Trail Mont de Flandres (1070m D+) : 3h11
- Marathon de Nice-Cannes : 2h40
- Championnats de France de Semi-Marathon : 1h13
- 10 km de Lambersart : 34'16

